Régime Matrimonial
C’est l’article 49 du Code de la famille qui régit les relations patrimoniales des époux. Il prévoit que « les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre ». Il s’agit du régime de la séparation des biens. Le législateur marocain a veillé à ce que le mariage n’affecte en rien la richesse des époux, chacun d’eux demeure indépendant par rapport à ses biens, et l’union ne constitue que « la seule forme admise pour constituer une famille… et qui a pour but la vie dans la fidélité, la pureté et le désir de procréation, par la fondation, sur des bases stables et sous la direction des deux époux, d’un foyer qui leur permet de faire face à leurs obligations réciproques dans la sécurité, la paix, l’affection et le respect mutuel[1] » loin de créer une union d’intérêt pécuniaire, ou bien dans le but de s’enrichir .
Néanmoins, ce régime peut connaitre un aménagement. L’article 49 ajoute dans ce cadre que les époux peuvent « se mettre d'accord sur les conditions de fructification et de répartition des biens qu'ils auront acquis pendant leur mariage».
a) Le régime de la séparation des biens :
Il s’agit d’un principe d’ordre public qui s’applique à tous les époux marocains à l’exception des marocains de confession juive qui « sont soumis aux règles du statut personnel hébraïque marocain ». En vertu de ce principe (la séparation des biens) les patrimoines respectifs des conjoints sont distincts l’un de l’autre et chaque époux conserve la faculté de disposer librement de ses biens, qu’ils soient acquis avant ou pendant le mariage ou des biens provenant d’un héritage, d’un legs ou d’une donation.
On constate d’après cette présentation générale du régime de la séparation des biens qu’il y’a:
v Une absence de masse commune : la séparation des biens apporte sans contredit une préservation et une protection du patrimoine de tout un chacun contre les dettes de l’autre, bien qu’on lui reproche de créer des inégalités entre les époux, dans la mesure où les bénéfices, les gains et les revenus ne profitent qu’à l’un d’eux.
v Une indépendance patrimoniale : les épouxne sont soumis à aucune règle obligatoire ou contraignante de partager leur fortune, mais rien n’empêche que l’un fasse volontairement bénéficier l’autre d’une partie de son patrimoine.
Mais derrière cette lumineuse simplicité du régime, des ombres peuvent apparaitre. Etant donné que chaque mariage est basé sur un engagement mutuel, il impliquera forcément un entremêlement des intérêts pécuniaires des époux. Ainsi lors de la dissolution du mariage des difficultés pour déterminer le propriétaire d’un bien peuvent surgir. De là découle toute l’utilité de l’établissement d’un inventaire de leurs apports.
Traditionnellement la future mariée prépare son trousseau de mariage et se dote d’ameublements nécessaires qu’elle apporte au foyer conjugal au titre de Jihaz ou Chouar. Néanmoins ce dernier qui reste sa propriété, risque de tomber dans la masse des biens composant le mobilier conjugal. Autrefois, le problème de preuve se posait peu, vu que la tradition voulait que les parents de la mariée apportent le Jihaz en fanfare, ce qui donnait lieu à une publicité auprès des familles et des voisins. On pouvait procéder même à la rédaction d’un acte adoulaire propre au contenu du trousseau, notamment en cas d’existence d’objets de valeur. Il serait donc favorable à l’épouse de dresser un inventaire afin d’éviter toute confusion de patrimoine.
Pour le mariage polygamique, le régime de la séparation des biens est bel et bien l’idéal. Devant une situation pareille, on ne peut imaginer une communauté des biens, car si on peut concevoir une solidarité au sein du couple sur la question des biens on trouvera du mal à imaginer une telle solidarité entre les coépouses[2].
Depuis l’entrée en vigueur de la Moudawanah, les époux ont la possibilité d’adjoindre à la séparation des biens un contrat annexe à l’acte de mariage, gérant les aspects patrimoniaux de leur relation.
b) Le contrat de gestion et de répartition des biens
Il s’agit d’un nouveau cadre contractuel introduit par l’article 49 du code de la famille, un contrat distinct de l’acte de mariage par le biais duquel les époux « peuvent se mettre d’accord sur les conditions de fructification et de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant leur mariage ». Seront par conséquent exclus tous les biens dont les époux étaient déjà propriétaires avant le mariage, ainsi que tout ce qu’ils pourront recueillir au cours de leur union par voie de donation, succession ou legs. S’il arrive qu’un conjoint achète des biens avec le produit de la vente d’un bien acquis avant le mariage, les nouvelles acquisitions ne resteront sa propriété personnelle, qu’à condition qu’il précise l’origine des fonds.
Le législateur a laissé place à la volonté des parties, elle seule permettra de créer le contrat et de définir son contenu. Le choix des parties n’est pas limité à un modèle d’acte précis ou déjà aménagé. En effet, les époux ont toute latitude de procéder à tous les aménagements et à toutes les stipulations qu’ils estiment nécessaires sur les conditions de fructification et de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant leur mariage. Une fois conclu les époux seront tenus de respecter leurs engagements respectifs aussi fortement que peut le faire une loi comme l’énonce l’article 230 du Dahir des Obligations et des Contrats: « Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévu par la loi ».
Pour un éventuel choix, le contrat de gestion et de répartition des biens peut être rédigé à tout moment même au cours du mariage. Mais c’est lors de la conclusion du contrat de mariage où « les adoul avisent les deux parties[3] » de la possibilité de conclure le dit contrat sur les biens. Sauf qu’en pratique peu sont ceux qui avisent les futurs mariés, et le code de la famille n’a prévu aucune sanction à l’égard de ses agents pour rendre ce devoir contraignant. Par conséquent, la connaissance de cette possibilité échappe à plusieurs époux et ils leur seraient difficile de prouver qu’ils n’ont pas été informés, d’autant plus que les adoul joignent à l’acte de mariage l’expression « les deux parties ont été avertis des dispositions de l’article 49». Ce manquement qu’en font les adoul peut être expliqué par le fait que lors de la conclusion de l’acte du mariage qui se déroule généralement au moment des festivités, ils préfèrent ne pas aborder ce côté encore sensible dans notre société. D’autant plus que le cadre joyeux et l’importante présence des familles et des proches ne constituent ni le moment ni le lieu propice pour les époux de discuter sérieusement, librement et de se mettre d’accord sur un mode de gestion donné[4]. En France par exemple, les époux doivent rédiger le contrat matrimonial avant la célébration du mariage pour qu’ils puissent discuter librement leur contrat[5].
Par ailleurs, l’accord sur les conditions de fructification et de répartition des biens acquis après le mariage a fait l’objet de plusieurs mauvaises interprétations:
D’abord, il a été apparenté au régime de la communauté des biens tel qu’il est adopté dans certaines législations étrangères, notamment occidentales, et que dans ce cas il suffira aux époux de déclarer leur volonté pour un régime communautaire pour se défaire du régime séparatiste. Or, le régime de la communauté universelle des biens fait que tous les biens possédés par les époux tombent en communauté, quelle que soit la date de leurs acquisitions (avant ou après le mariage), leurs origines (qu’ils soient par voie d’achat ou de donation…etc.), et le mode de leur financement. Ainsi les patrimoines des époux seront fusionnés, ils n’auront plus aucun bien personnel et seront conjointement responsables de leurs dettes, qu’elles aient été contractées avant ou pendant le mariage. Mais ceci ne ressort en aucun cas des dispositions de la Moudawanah. Celle-ci n’offre pas un choix entre deux régimes, un dit séparatiste et l’autre communautaire, mais juste une possibilité donnée aux époux, d’aménager librement la manière dont ils veulent gérer leurs biens acquis après le mariage. Rappelons à ce propos que l’article 49 souligne clairement que « chacun des époux dispose d’un patrimoine distinct du patrimoine de l’autre ». Par conséquent il n’y a place à aucune fusion du patrimoine, et les biens acquis par les époux avant le mariage ou par voie de donation, succession ou legs, demeurent des biens propres.
Ensuite l’accord sur les conditions de gestion et de répartition des biens a été également apparenté au régime de la communauté des biens réduite aux acquêts, vu que dans ce dernier, tous les biens possédés avant le mariage et ceux reçus par donation ou succession pendant le mariage restent en principe la propriété personnelle du conjoint concerné. Mais dans un tel régime la répartition des biens se fait systématiquement à parts égales, or l’article 49 de la Moudawanah donne aux époux la liberté totale de définir la part de chacun sur les biens acquis après la conclusion du mariage.
Enfin, il ne faut pas confondre le contrat additif avec la possibilité d’introduire des clauses dans le contrat matrimonial. En effet, les clauses sur les conditions de fructification et de répartition des biens rentrent dans un acte séparé du contrat matrimonial alors que les clauses matrimoniales sont stipulées au niveau même du contrat de mariage et peuvent porter sur les biens des époux comme elles peuvent porter sur des avantages, des droits… pourvu qu’elles ne soient pas « contraires aux conditions et aux buts du mariage ainsi qu’aux règles impératives de droit[6]».
S’agissant de la forme du contrat sur les biens, celui-ci peut prendre la forme d’un acte sous seing privé, adoulaire[7] ou bien un acte notarié. Pour ces trois formes, l’acte authentique reste le plus avantageux. D’une part il est doté de la force probante ayant une date certaine reconnue par l’autorité publique, et d’autre part d’une force exécutoire faisant foi en justice. Par conséquent, le risque de le voir rejeté comme élément de preuve devient d’autant moins important[8].
L’accord permet donc aux époux de constituer un patrimoine familial sans exclure l’existence d’un patrimoine distinct entre eux. Cette situation permet un enrichissement simultané des époux ce qui présente un avantage majeur, surtout si l’un des conjoints ne dispose d’aucune source de revenu, chose qui lui permettra de bénéficier des gains et des revenus de l’autre.
Nada Cheraibi
[1] NAJI MEKKAOUI Rajaâ, La Moudawanah : Le référentiel et le conventionnel en harmonie, Tome I le mariage et la filiation, 3ème édition, p. 73.
[2] CHEDLY Lotfi, Les Relations Pécuniaires entre Epoux cinquante ans après l’entrée en vigueur du Code de statut personnel tunisien, R.I.D.C. 3-2007, p. 577, note 121.
[3] Article 49 du Code de la Famille, 3ème alinéa.
[4] فاطنة سرحان، مختار الهراس، تطبيق قانون الأسرة المكتسبات والتحديات، الجمعية المغربية لمحاربة العنف ضد النساء، 2006، ص35؛
[5] Article 1395 du Code Civil Français « Les conventions matrimoniales doivent être rédigées avant la célébration du mariage et ne peuvent prendre effet qu'au jour de cette célébration ».
[6] Article 47 du code de la famille.
[7] Voir Annexe 1 : Un modèle d’un acte adoulaire sur les conditions de gestion et de répartition des biens acquis après le mariage.
[8] كتاري خالد، القاضي المشرف على قسم قضاء الأسرة المحكمة الابتدائية بسطات، <التطبيق القضائي لمقتضيات المادة 49 من مدونة الأسرة المتعلقة بتوزيع الأموال المكتسبة بين الزوجين، ص 4